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Critical, creative and digital writingEcriture critique, créative et numérique

 ? 𝞪/A
13 11 2013  

Attachement

Je viens de finir de lire un livre qui m'a fait rire, beaucoup, qui m'a fait peur, un peu, et qui m'a presque arraché des larmes de nostalgie quand je le terminai, un sourire béat collé à ma face, et une envie de grand sac, de Leslie et de home. Le roman de Tim Winton, Cloudstreet, ou l'histoire de deux familles qui cohabitent dans une maison à Perth, pour le pire et le meilleur, pendant les années d'après-Deuxième Guerre Mondiale. Une belle expérience. Alors que j'arrivais aux ultimes pages du bouquin, et que l'émotion me prenait, j'ai commencé à me poser ces questions: Qu'est-ce qui fait qu'on s'attache à un endroit? A des milliers de kilomètres de Genève, alors que je suis en Australie depuis des semaines, pourquoi ai-je en moi le besoin irrésistible de rentrer à la maison, de rentrer chez moi? Le premier réflexe est souvent de penser qu'on s'attache à un endroit, à un espace clos et délimité. Plus j'y pense, et moins j'y crois. Ce n'est pas l'endroit en lui-même qui me manque, qui me créé cette nostalgie d'arrière-plan, mais bien les émotions, impressions, sentiments qui y sont connectés, et que je ramène à mes souvenirs par l'intermédiaire de la représentation spatiale. En un sens, le concept d'endroit cristallise des myriades de moments de vie, qui eux-mêmes m'irradient d'émotions. Ainsi, de la même manière qu'un mot évoque des significations diverses et variées, le souvenir d'un espace évoque un florilège d'émotions et d'impressions. Les éléments de l'espace comme alphabet, j'aime cette idée: mon chez-moi serait ainsi plus qu'un simple espace décharné et vide de vie, mais un véritable récit dans lequel je me vois en héros, emmêlé par le fil narratif dans un monde du récit composé d'une intrigue principale et d'intrigues secondaires, de personnages, de digressions, d'un sens du suspense et d'éclats de surprise. Bien sûr, il n'y a pas que les représentations d'endroits et d'espaces qui fonctionnent de la même manière. La mémoire des corps est sûrement autant évocatrice, voire plus, que l'évocation des espaces. De plus, l'art, il me semble, est l'exemple même de ce principe d'association par lequel un élément en évoque un autre. Dans le cas de l'art, la capacité à faire jaillir des significations est condensée en un segment de temps (musique), en une surface (peinture), en un volume (sculpture) ou en une combinaison de temps et surface (cinéma) ou temps et volume (danse), etc. L'art a donc une connotation de fermeture, même si beaucoup de mouvements aspirent à s'en extirper. Mais se rappeler au récit de sa vie est bien plus puissant qu'une simple œuvre d'art. C'est une manière de s'intégrer dans le maillage de son passé, et d'y accrocher ses futures expériences. Imaginer l'espace et les corps, les sons et les voix, les touchers de peau, tout cela m'est facilité par l'invocation de l'endroit où j'ai vécu ces interactions. Cette capacité à revivre des expériences de mon passé, à invoquer les espaces et personnes qui me font qui je suis chaque jour, tout cela me fait me dire que la vie est bien faite, et qu'elle est belle, quand on en est le héros.