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Critical, creative and digital writingEcriture critique, créative et numérique

 ? 𝞪/A
08 09 2022  

Balade dans la forêt intérieure

Alors même que mon traitement progresse et fonctionne, je ressens le besoin de m'évader des effets secondaires de la chimio, de l'hôpital, de la solitude. C'est parfois difficile de faire fi de toute la machinerie hospitalière, et je remarque que les moyens que j'avais (lecture, écriture, musique) ne sont plus tout à fait suffisants. Pour mieux vivre, mieux être, mieux devenir, mieux ressentir, j'ai pris rendez-vous pour une séance d'hypnose médicale mardi avec Magali, et cette expérience m'a apporté énormément. Elle m'a fait découvrir la nature luxuriante de ma forêt intérieure et, plus important encore, m'a montré une voie pour y accéder.
Cette balade dans ma forêt intérieure commence par le fait de planter mes pieds au sol et ressentir la pesanteur qui m'attire, la douceur de cette force qui me connecte à la terre par mes pieds, puis mes jambes, mon tronc, mes bras, mes épaules, ma tête. Puis je ferme les yeux et accepte le petit plaisir bienveillant de m'isoler du monde extérieur pendant quelques instants, de me retrouver dans un espacetemps empreint de sérénité et de calme. Mes paupières forment un voile protecteur. En tout temps, j'écoute et suis ma respiration, l'étreins comme une amie qui rythme ma vie, car elle agit comme une barrière et un guide tout à la fois. Je ne suis pas encore dans la forêt mais suis désormais prêt à commencer la balade en son sein.
A l'orée de ce bois lové dans mon corpsesprit, une barrière de sapin s'érige devant moi et à première vue semble renier au visiteur quelconque entrée dans cette forêt intérieure. Alors j'inspire, puis expire, et en expirant je vois! Je vois une ouverture devant moi entre deux troncs de sapin, un chemin de traverse qui me lie à moi-même. Je marche en sa direction et passe le seuil tout à la fois séparant et connectant les deux mondes. Je ne suis pas visiteur de ce domaine, après tout, mais bien son créateur.
Immédiatement, le monde alentour change. La lumière si assaillante du dehors se mue en douce pénombre et mes yeux doivent s'habituer à cette diminution de luminosité. J'inspire et perçois dans mes narines des touches d'humus dans l'air. Sur mes mains, mon visage et ma nuque, je ressens une apaisante baisse de température et une augmentation de l'humidité bienvenue. Que c'est calme dans cette forêt, tellement calme que les bruits du dehors me semblent loin, très loin jusqu'à en devenir fantômes d'eux-même. Les seuls bruits que j'entends sont ceux d'une clairière à quelques dizaines de mètre de l'entrée de la forêt. J'entends un feu qui craquette, un ruisseau qui babille, alors je m'approche lentement et à chaque pas je ressens une légèreté qui m'emporte vers l'avant et l'en-haut tout en me calant dans la mousse et l'humus de la forêt. Ce passage du seuil vers la clairière, ce chemin de traverse me permet de me recentrer, de voir la nature réelle et exquise des choses de la vie. J'apprécie ce moment de calme et de joie, d'anticipation, d'excitation et de léger désarroi, car ici rien n'est pareil, tout est différent, rien n'est matériel, tout est evanescent.
J'arrive enfin à la clairière et en son centre se trouve un magistral sapin qui monte vers les cieux et s'extirpe de la canopée bordant cet espace dénué pour relier la terre et l'air en un pont enchanté. Perché sur sa cime, un aigle dont le pouvoir visionnaire se fixe sur moi et me transmet sa force. Autour du sapin, je perçois une petite étendue de vert intense pointillé de rouge, un jardin de houx protecteur et calmant, accolé au sapin comme pour lui rappeler son attachement inconditionnel. Dans le houx, la frimousse d'un renard blanc pointe vers moi. Le renard m'observe avec patience et tendresse. A quelques mètres du sapin magistral et son aigle et du jardin de houx et son renard, un petit feu brûle d'une animée combustion avec panache et sans relâche, brûle comme une lumière unique dans la nuit, synonyme de vie. Ce tableau n'en est pas un, car il est bien vivant et change tout le temps. Je m'approche donc pour mieux y participer, à cet espace de mutation intérieure apaisé.
A chaque mouvement vers ce trio, je ressens la chaleur douce du petit feu m'envelopper, je ressens l'odeur épicée du sapin m'imprégner, je ressens les feuilles et les baies du houx me protéger. Je m'assieds entre le feu et le houx, puis m'allonge et ferme mes yeux déjà fermés. J'inspire et me laisse pénétrer par cette atmosphère boisée; je bois de cette vie intérieure comme d'une source infinie d'une exquise pureté.
Et dans cet espacetemps de mon corpsesprit, j'entends une voix tout autour de moi, une voix diffuse et sans origine autre que l'environnement imaginé et si réel de cette clairière enchantée. Et cette voix me répète, "Vois!"