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Critical, creative and digital writingEcriture critique, créative et numérique

 ? 𝞪/A
20 07 2022  

Celui que je me dois de nommer

Je connais maintenant le nom de mon ennemi, même si des doutes subsistent sur sa nature exacte (le plus probable est un lymphome primitif du médiastin, mais le lymphome de Hodgkins reste une possibilité, bien que moins réaliste). Cette incertitude rend une biopsie sous anesthésie générale nécessaire afin de clarifier la situation.
Cela étant dit, l'intrigue de ce récit qu'est devenu mon combat contre le cancer s'épaissit et j'ai des bribes de réponses quant à mon futur (qui devront être validées). Ce que j'entrevois déjà suggère cependant un roman-fleuve sans moult rebondissements, ni intrigues ou digressions à tort et à travers qui pourraient venir hachurer mon quotidien pendant des mois. Je crains donc de devenir le protagoniste d'une histoire aussi répétitive que pénible à lire.
Revenons aux mois qui viennent et parlons-en. Mon cancer devrait m'envoyer à l'hôpital toutes les trois semaines pendant six mois. Les choses sont amenées à évoluer, mais à première vue, cette perspective ne m'enchante guère et je dois commencer à apprivoiser ce lieux qu'est l'hôpital. C'est ce que je suis en train de faire en écrivant ces mots, en couchant mes angoisses et mes espoirs dans ce texte. Mais ça va prendre du temps et beaucoup de nouvelles relations sociales avant que ma suspicion du système médical ne s'estompe. Je vais faire un effort.
***
Celui que je me dois de nommer, le cancer, me fait encore peur. Ce monstre en moi est difficile à cerner; il élude mon regard, se cache derrière mes côtes en espérant échapper au traitement. Il me nargue.
Je suis au fait qu'il n'est pas sensible, ce cancer, qu'il n'a ni conscience ni intention, ce lymphome. Je le sais qu'il est autant vivant que mon épiderme, que mes poumons, que mon foie, que mes autres organes. Mais lui, le cancer, me hante comme aucun autre organe ne me hante. C'est cette capacité à nous atteindre moi et mes proches qui est son réel pouvoir, sa capacité à mettre ma vie sens dessus dessous. Et connaissant désormais son pouvoir, je me dois d'utiliser ce savoir pour contrer son influence. Alors j'écris et je nomme celui que je me dois de nommer; je le pointe du doigts pour mieux le comprendre et pour briser l'emprise qu'il a commencé à avoir sur mon existence. Cancer, tu ne m'auras pas! Lymphome, je te vaincrai!
Qui l'eut cru qu'Arnaud Barras deviendrait un poète condamné à survivre en se battant avec ses armes si personnelles, les mots, contre un crustacé incrusté en son thorax, blotti contre ses poumons? Certainement pas moi... Mais la vie est surprenante, et c'est bien ainsi, car un récit sans retournement, c'est une forêt sans arbre, et une forêt sans arbre ce n'est pas une forêt, c'est un désert.