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Critical, creative and digital writingEcriture critique, créative et numérique

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10 06 2015  

Départ de la modernité

Les oiseaux de fer s'envolent par centaines, chaque jour, et se dirigent vers l'autre, chaque jour, en une migration du moderne. Les anges d'acier décollent par milliers, chaque jour, et connectent avec le lointain, chaque jour, espérant renforcer notre destin commun. Les métaphores du vivant souvent s'appliquent aux machines. On en oublie comment ces amas de taule sont figés en archétypes du moderne, en interfaces du privilégié. Métonymes de la technologie, représentants de l'industrie, les objets volant trop identifiés ne rassurent pourtant pas: ils nous rappellent notre fragilité, et perturbent notre compas d'animal. *** Chaque fois que je voyage, mon coeur s'anime, et mon pouls pulse de puissantes salves de sang, d'hormones et d'intention dans mes veines, dans mon corps, pour me rappeler le vivant. Chaque fois que je me rends sur ce chemin aérien, mes pensées s'étoffent, mon imaginaire se gonfle, mes regrets et mes envies conversent à outrance et m'envahissent du doute: vais-je survivre? Chaque fois que ces images de corps déchiquetés, de surfaces étiolées, de volumes brisés s'imposent à moi, je repense mes plaies, panse mon souvenir, je réactive les moments qui ont fait qui je suis, et dans un silence dénué de sens, je souris à la vie. *** Les mutilations de la terre dans les cieux se montrent: les incarnations du contrôle de notre sphère se tracent en lignes blanches dans la voûte bleu-ciel, et hachurent de nuages artificiels l'illusion trop humaine qu'espace est surface, que volume est pourtour, que la vie est un tour que la mort sa destination. Dans l'arrière-fond je l'entends, le bruit résiduel de l'arrogance moderne: le vrombissement, le tremblement, le ronronnement normal qui fût jadis inhabituel. L'Anthropocène n'est jamais loin lorsqu'on croise l'avion sur notre chemin: tout est si proche, tout est si simple, qu'on ne pense à rien d'autre que l'atteindre! Et sans fléchir, sans réfléchir, on continue cette trajectoire sans fin-- si ce n'est la nôtre-- jusqu'à ressentir l'absence de sens, le manque d'envie, la perte d'ambiance car tout est gris; tout est lardé de dioxyde, tout est teinté de suie morbide, et mes poumons sont immobiles, pris dans les fils du moderne par une amiante symbolique, par une vie artificielle.