Jaillissent les eaux d'Arve
Sur cette place,
				les artisans d'antan commerçaient
				à voix haute et sans complexe;
				ils narguaient l'austère Genève
				en prônant l'ouverture des lieux.
				
				Désormais,
				les arbres qui y sont alignés
				en séquences bariolées,
				sous leur canopée
				abritent
				les cris sauvages de la jeunesse,
				oisive et débridée,
				qui tel un lionceau
				ayant tout à prouver,
				rugit sans réfléchir
				voyant la nuit tombée.
				
				Lorsque les lueurs de la ville
				se réfléchissent en fragment d'étoiles
				dans l'eau fluviale
				qui rumine sa nostalgie
				au milieu de la place,
				je me prends d'abord à rêver
				du voyage de l'Arve
				à travers les vallées
				dévalant les montagnes.
				
				Puis, quand je comprends que la rivière
				est captive
				de la pierre façonnée,
				qu'elle est piégée
				par le symbole de l'entreprise humaine,
				je suis inondé par une étrange pensée:
				je désespère des artifices
				qui contraignent
				et qui structurent
				et qui réduisent
				a minima
				les méandres convolutés
				des larmes alpines.
				
				Je fonds alors moi-même en sanglots,
				et de ma triste peine
				rejaillissent les eaux d'Arve
				en courbes alambiquées
				qui font fi des principes
				et des lois
				et des formes données,
				et qui érodent
				les lignes
				de la cité
				leur demeure.
				
				La poésie de l'eau semble néanmoins bien frêle
				quand elle se heurte aux projets des hommes;
				car eux, sous couvert de progrès,
				tronçonnent et bétonnent
				les forêts du monde,
				et dans des fournaises avides
				réduisent en cendres amères
				les flux libertaires de la nature
				notre mère.
				
				Que le monde émerge de mon âme
				ou que mon âme émerge du monde,
				là n'est pas la question;
				cette formulation reviendrait
				à piéger la rivière dans un barrage de mots
				et à noyer mon être dans le tourbillon du destin.
				Car ne l'oublions pas,
				c'est bien dans l'unique coémergence écopoétique
				des mouvements de pensées et des rivières élancées
				que tout se crée,
				se noue,
				se lie
				et se dénoue.