La bise intérieure
Les drapeaux tendus battent au rythme du vent:
la bise est de sortie ce soir sur le pont du Mont-Blanc,
et les rectangles de toile bruyamment l'accueillent.
Ces sigles tissés forment le décor de ma stupeur intérieure
dont la course effrénée siffle la fin de l'hiver
et irrite mes bronches de facéties givrées.
A chaque battement de mon coeur,
le vent en lames de désamour perce mes poumons
et me plonge dans l'eau glacée de ma primaire peur.
Bien qu'elle me hante régulièrement,
la primordialité de l'émotion m'étonne:
à chaque respiration, j'étouffe
et je m'éteins,
et les larmes du néant se saisissent de mes mains.
Je me sens enfermé en moi-même,
cloisonné par ma chair,
asphyxié par ces mots silencieux
qui dictent mes airs,
font le vide de mon inspiration,
et peignent sur ma peau,
en saccades illettrées,
des trames bleuâtres
et de ténébreux cieux.
Sous le poids de la bise,
je sombre dans les sombres abysses.
Ma poitrine se contracte.
Ma gorge s'ankylose.
Mon sang se fige
et mon esprit implose:
le baiser de la Mort porte bien son nom,
lui qui chaque hiver à Genève vient effleurer
le canton.
L'érosion intérieure me semble inéluctable,
lorsque je sens la caresse du vent
qui embrasse mon espace
et le vide de sa substance.
La bise est de sortie, ce soir,
sur le pont du Mont-Blanc,
et en moi elle se prélasse,
en attendant le printemps.