Singularité
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La singularité
L'espace d'un instant, le temps d'un mouvement,
le monde se créé et se perpétue infiniment.
L'intangible phénomène de la compréhension humaine
se dresse devant moi, tel un monolithe moderne,
incarnation sombre de l'énergie du cosmos.
Comme une brise de printemps éparpillant les pollens du temps,
l'existence de l'univers échappe à mon contrôle,
évite mes saccadantes envolées verbales,
et se diffuse en un rayonnement du fond des âges.
Dans ce ballet macroscopique, je ne suis rien:
rien qui n'importe, rien de certain; je ne suis rien:
rien qui n'existe, rien qui ne sache; je ne suis rien
car incarné en une masse émancipée de la beauté du pur,
comme un écueil unique parmi les infinies possibilités quantiques.
Comment connaître la beauté complexe d'un système sans origine?
Comment toucher la texture intriquée d'une surface sans bordure?
Comment penser l'impensable épanchement de l'espacetemps?
Comment vibrer à l'unisson sans même connaître l'autre amplitude?
Comment répondre à ces questions sans fondements, sans intention?
Comment comprendre l'objet lorsque l'objet nous comprend?
Les réponses n'existent pas hors du champ de leur signification,
car reconnaître la complexité de l'existence n'offre d'alternative à l'existence.
Les machines humaines qui transforment l'invisible en vu,
l'intangible en touché, l'insondable en sondé, l'inaudible en'tendu,
l'incommensurable en mesure, n'offrent de répit si ce n'est dans l'oubli:
l'oubli éphémère--l'espace d'un instant, le temps d'un mouvement
de l'esprit--de l'impossible découverte de ce qui n'était jamais couvert.
Comment reconnaître qu'on n'est rien d'important?
Comment apprécier qu'on ne peut tout savoir?
Comment les machines qui guident notre savoir
peuvent-elles nous guider vers l'humilité?
Comment enfin comprendre qu'en pensant on annihile ?
Comment comprendre enfin que l'Homme est impuissant?
De cette danse de la matière, j'ai grand espoir
de pouvoir émuler l'énergie créatrice.
De cette vie universelle, j'espère imiter
le mouvement perpétuel vers l'inconnu.
De l'univers je veux descendre,
de l'univers je veux apprendre,
et en ce jour d'avril où mon séjour au CERN
est frais dans mon esprit
comme l'air du soir,
j'ai grand espoir de rencontrer
la matière noire de ces pensées
enfouies dans les motifs de la vie.
La texture du Tout se répète en moi,
les traces de mémoire se combinent en un mot:
singularité
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