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Critical, creative and digital writingEcriture critique, créative et numérique

 ? 𝞪/A
2013  

L'expérience interactionnelle

Si la pensée interactionnelle est la façon de penser son implication dans le monde comme un processus dynamique et donc de penser sa vie comme une interaction continue, l'expérience interactionnelle est l'application de ce principe à la vie quotidienne. En d'autres termes, l'expérience interactionnelle est une façon de pratiquer le monde comme une interaction plutôt que comme une action. Le problème avec le fait de concevoir la vie comme la somme de ses actions sur le monde est précisément que cela implique une intentionnalité extirpée du monde, comme si la cause de vos actions, votre motivation, était détachée du monde matériel. Penser que vous agissez sur le monde est une illusion qui cache le fait que vous êtes aussi en train de réagir au monde. A la fin, action et réaction ne sont séparés que par le langage; de fait, seule l'interaction existe. L'expérience interactionnelle est donc le processus d'interagir et d'en être conscient. Cela implique que lorsque vous faites quelque chose, vous gardiez à l'esprit votre implication dans le processus d'interaction avec le monde. Par exemple, imaginez que vous avez faim et que vous décidez de prendre quelque chose à grignoter. Si vous considérez qu'avoir faim est purement un besoin biologique, vous êtes dans l'erreur. Le fait est que la faim est liée à votre implication dans l'environnement, manger de la nourriture étant une manière d'acquérir de l'énergie pour permettre l'interaction inhérente à la vie - le mouvement par exemple. Dans ce contexte, penser que vous avez décidé unilatéralement de prendre quelque chose à manger pour parvenir à la satiété est également faux. La motivation qui se cache derrière vos actions fait ici partie d'un processus d'interaction. Vous avez décidé de prendre quelque chose à manger parce que vous aviez faim, et vous aviez faim parce qu'à ce moment précis, votre corps avait besoin d'énergie pour continuer le processus d'interaction. Cet exemple montre que vous êtes constamment en interaction avec l'environnement: dans ce cas, l'organisme humain absorbe une partie de son environnement (la nourriture) et rejette une partie de son corps (cellules de peau, cheveux et poils, fèces). De la même manière, les actions les plus triviales de notre vie quotidienne sont en fait des interactions. L'expérience interactionnelle est la reconnaissance de ce fait. Respirer, cligner des yeux, soupirer, etc., participent tous du processus de vie. *** Nous sommes plus ou moins tous conscients que chaque chose que l'on fait est d'une certaine manière liée à notre environnement. Le problème réside dans le fait que l'état d'esprit contemporain occidental nous pousse si puissamment à séparer l'intérieur humain de l'extérieur environnemental que notre conscience spontanée d'être dans un processus de vie est contrebalancée par la croyance d'être dans un état de vie. Un autre problème conceptuel qui sape l'expérience interactionnelle est la tendance qu'ont certains langages de tout réduire en dichotomies statiques: mort ou vivant, agissant ou réagissant, naturel ou culturel. Cette stase - souvent expliquée par l'envie de simplifier le monde en un objet compréhensible - ne représente que très mal la réalité dynamique et complexe de l'expérience interactionnelle. Par conséquent, pratiquer l'expérience interactionnelle ne consiste vraiment qu'à reconnaître la complexité du processus de vie, et d'ensuite essayer d'apprendre à mieux connaître ce dernier. Dans ce contexte, les sciences, qu'elles soient sociales, psychologiques, humaines ou physiques, toutes contribuent à élargir notre connaissance du monde et de notre place en lui. L'expérience interactionnelle ne peut se réaliser sans un savoir extensif du monde! Le problème est donc d'arriver à faire que le plus de personnes possible pensent interactionnellement pour qu'elles puissent ensuite pratiquer le monde interactionnellement. Une manière de réaliser cela est d'enseigner aux gens à un très jeune âge qu'ils sont impliqués dans le monde, par exemple en leur expliquant que leurs actions font en fait partie d'un processus d'interaction. Le but de cela serait de permettre à la génération suivante d'échapper aux dichotomies erronées qui gouvernent quelques-unes de nos sociétés contemporaines. Si nous faisons cela à une large échelle, il se peut qu'une nouvelle génération d'humain parvienne à regagner un certain contrôle sur son impact sur l'écosystème global.